ŒUVRES
Le déclic fut, en 1967, une représentation des Contes d’Hoffmann de Jacques Offenbach, à Paris, Salle Favart. Déjà passionné par les mythes et les légendes, je découvris, passant de l’opéra au livre, plusieurs récits et romans d’Ernst Theodor Amadeus Hoffmann, notamment Le Vase d’or. L’interaction du visuel, de la musique et de l’imaginaire décidèrent de la suite. A la découverte, ces années-là, d’autres grandes œuvres musicales, il faut ajouter celle des romans de Julien Gracq, Claude Simon, Mikhaïl Boulgakov et Gabriel Garcia Marquez.
La Suite romanesque des Iles étrangères
Après plusieurs textes inaboutis, j’entrepris en 1979 la rédaction de mon premier roman, Mémoires. Il paraît en 1984.
Son titre exprime l’intrigue. Un enfant, Marc, visite en cachette un château inhabité, où tout reste en place comme avant l’abandon. Les parcours de l’enfant, remettent en œuvre la mémoire des anciens maîtres du lieu. Devenu jeune homme, Marc voit son premier amour et sa propre mémoire peu à peu recomposés par le pouvoir de la grande demeure. Le titre, Mémoires, prêtait néanmoins à confusion – plus encore chez un débutant. L’ambiguïté me convainquit de publier une nouvelle version de Mémoires en 2007 sous un nouveau titre, définitif : Miroir et songes.
Durant la mise au point de ce premier roman s’imposa dans mon esprit le projet d’une Suite romanesque de sept livres, dans l’esprit d’une vaste suite symphonique, la Suite romanesque des îles étrangères, allusion à une strophe du Cantique spirituel de Jean de la Croix. De cette Suite, il m’apparut que Miroir et songes serait le troisième « mouvement », bien que le premier écrit. Alors âgé de trente ans, je prévoyais que l’élaboration de ces sept livres pourrait s’étendre sur une bonne partie de ma vie. Restait, en effet, à écrire les deux premiers mouvements et les quatre derniers…
Il semblait évident que l’ordre chronologique de rédaction de chacun de ces romans ne fixerait pas la place qu’il tiendrait dans la Suite. Mémoires ( qui deviendra Miroir et songes ) ne pouvait être le tome I. Chacun des mouvements a son caractère propre et correspond à une certaine expérience du temps et de la durée : on n’a pas la même perception à 40, 50 ou 60 ans. Question de maturité. Pour avoir le bon point de vue, il faut avoir vécu, observé, lu, entendu.
Ainsi parut en 1991, Le Joque macabre (Editions Critérion), uchronie inspirée par l’idéologie et la politique des années 1980 dont le titre fait référence à l’opéra de György Ligeti, Le Grand Macabre – j’avais assisté à la première française en mars 1981. Ce deuxième roman était conçu pour tenir la sixième place dans la Suite romanesque. De même, le roman qui suivit, le troisième, Nos étés (1998) – un roman de formation – occuperait-il la cinquième place. Vint ensuite Bilkis (2005), une variation sur le mythe de Salomon, de la reine de Saba et des Rois mages destiné à occuper la deuxième place de la Suite. Cette discordance entre l’ordre chronologique de la rédaction et la situation de chaque roman dans la Suite suppose que chaque livre reste autonome même s’il traite de la même matière. Ainsi, advient-il dans une Suite symphonique dont les pièces peuvent être exécutées isolément et composées dans le désordre. On peut aussi se figurer, comme dans Le château de Barbe bleue de Béla Bartok, un vaste paysage au centre duquel se trouvent narrateur et lecteur, devant qui s’ouvrent tout autour plusieurs fenêtres, chacune selon une perspective différente, une heure, une saison, une lumière.
Malgré cette prudence, j’ai pris conscience, l’âge passant, de ma présomption. Lorsque je travaillais sur le Joque macabre, par exemple, dans les années 1986-1990, je manquais de recul pour saisir la décennie qui venait de s’écouler, non seulement en France mais en Europe. C’était d’autant plus gênant pour un livre qui s’inscrivait dans un contexte politique. La chute du Mur de Berlin survint alors que la rédaction du Joque macabre était presque terminée, sans qu’il soit encore possible de prendre l’entière mesure de l’événement. Le livre était déjà paru lorsque se firent sentir les puissants mouvements tectoniques de l’Europe centrale avec le début des guerres de Yougoslavie (mars 1991) et la fin de la Perestroïka (décembre 1991). Je compris qu’il me faudrait donc reprendre Le Joque macabre et, pour d’autres raisons, moins fortes, Nos étés. Ce qui ne m’empêcha pas de poursuivre la rédaction de la Suite.
En septembre 2022 sort Les hivers et les printemps. Le roman se déroule à la fin du XVIIe siècle, sous le règne de Louis XIV, autour de l’abbaye de la Trappe. Il prendra place comme premier mouvement de la Suite. Deux livres restent à écrire pour compléter l’ensemble, qui représenteront le quatrième et le septième mouvement de la Suite. Le quatrième prendra la forme d’un conte d’enfant et le septième celui d’une Passion, sur le modèle de plusieurs oratorios liturgiques dont, bien sûr, ceux de Bach.
Autres œuvres
Autour de la Suite des Iles étrangères se sont développés plusieurs ouvrages. Soit qu’ils en émanent, soit qu’il s’agisse d’études préparatoires
Ainsi les éditions Olivier Orban m’ont-elles commandé un bref texte au lendemain de la parution de Mémoires – une nouvelle pour un recueil collectif, Amoureux fous de Venise (1985). Celle-ci, Le mannequin d’or, met en scène quelques personnages de Mémoires en compagnie du compositeur Piotr Illich Tchaïkovski, lors d’un séjour supposé de celui-ci à Venise en 1893 alors qu’il travaillait à la future symphonie « Pathétique ». Cette nouvelle devint la matrice d’un roman, enrichi au fil des années par l’élaboration de la Suite : Le collectionneur des lagunes, paru près de vingt ans plus tard (2014). Celui n’a pourtant trouvé sa forme définitive qu’en 2024, avec Tchaïkovski et le mannequin d’or.
En 1998, Anthony Rowley, directeur littéraire aux Editions Perrin, me pousse à écrire une biographie de l’abbé de Rancé (1626-1700), après avoir lu un bref article que j’avais consacré, dans le magazine L’histoire, à cette figure religieuse du Grand Siècle. Au fur et à mesure de ce travail, qui deviendra Rancé, le soleil noir (2006 puis 2022), un certain nombre d’images et de thèmes s’organisent parallèlement à l’essai, de manière autonome. Ils seront la matière d’un roman destiné à être le premier de la Suite romanesque : Les hivers et les printemps.
De même, lors de la rédaction de Bilkis (1999-2005), ai-je entrepris, pour en nourrir l’intrigue, des recherches sur l’énigmatique Hortense Howland, égérie et grand amour d’Eugène Fromentin à l’époque où celui-ci publie son unique roman, Dominique (1863). De cette recherche naquit Madame de Marçay, le mystère d’une dame en blanc (2010), enquête littéraire sur cette belle inspiratrice. Mme Howland est également à l’origine du personnage de Madame de Marçay, récit publié en 1860 – trois avant Dominique – par un autre de ses amoureux, l’essayiste et journaliste Anatole Prévost-Paradol.
En 2007, invité par mon ami l’écrivain espagnol Rafael Chirbes à parcourir trois jours durant la ville de Valence, j’en ai tiré un récit de voyage mêlant fiction et réalité : Capucine à Valence (2008). Le matériau s’en retrouvera dans le quatrième et le septième romans de la Suite, actuellement en cours de rédaction.
Les mythes, contes, légendes et récits pour enfants ont tenu, depuis le début, une grande place dans mes lectures. Ils en tiennent aussi dans l’ensemble de la Suite. Plusieurs s’en sont détachés dans deux ouvrages réalisés en collaboration avec le dessinateur Emmanuel Pierre : Le rat bleu (2008) et Batras, l’enfant d’acier (2019).
J.-M. M. (2024)
[Collages d’Emmanuel Pierre]