A LA RECHERCHE DU MOYEN ÂGE
Avec Jacques Le Goff
En 2000, alors qu’il préparait les programmes de la maison qui porta son nom, Louis Audibert (1946-2004) obtint l’accord de Jacques Le Goff pour un livre-entretien, où le grand historien reviendrait sur sa carrière et ses travaux. Il m’en confia le soin sachant mon intérêt pour la culture médiévale et les travaux de celui qui en a profondément renouvelé l’approche. Ainsi naquit A la recherche du Moyen Age, paru en 2003.
C’est en lisant Ivanhoé de Walter Scott, un jour de 1936, que le jeune toulonnais, âgé de 12 ans, fut confirmé dans son goût de l’histoire et de l’écriture. Il partit à la recherche du Moyen Age tout comme le narrateur, dans l’œuvre de Marcel Proust, enquête sur le Temps perdu. Le Moyen Age est ainsi pour Jacques Le Goff une aventure humaine à la fois spirituelle et bien incarnée – aventure grâce à laquelle il interrogea constamment le XXe siècle dont il vécut les combats avec autant de générosité que d’ouverture d’esprit.
A la fois autobiographie intellectuelle et vaste synthèse d’un millénaire capital, la Recherche du Moyen Age donne les clés d’une civilisation qui nous a façonnés, à la fois très proche et presque étrange. Refusant la légende « noire » d’un Moyen Age obscur, tout comme les rêveries trop idéalisées d’un temps chevaleresque, il fait revivre l’intense richesse d’une refondation occidentale. L’Eglise chrétienne y est omniprésente, prolongeant à sa façon la « romanité » tout en assimilant la culture « barbare ». Ainsi se façonne, au fil des siècles, un nouvel espace-temps.
Au Moyen Age, selon Le Goff, la Vierge devient la Quatrième Personne de la Trinité. Ici la Vierge et l’Enfant en majesté, de Cimabue (1270)
L’historien montre la capacité d’innovation d’un monde qui se disait pourtant hostile à toute nouveauté. Il s’attache au concept de « renaissance », pour lui profondément médiéval, tout comme le souci de « réforme ». La renaissance du XVe siècle, loin d’être une rupture n’est, dit-il, que la cinquième depuis le temps de Charlemagne. Il préfère parler de sorties progressives du Moyen Age au fur et à mesure que l’Europe s’éloigne des rythmes et sociabilités du monde agricole.
Anxieux de la fin des temps, le Moyen Age se voit pourtant porté par un formidable espoir. Il est pour l’historien la source de l’humanisme qui lui parait, au seuil du XXIe siècle, la valeur fondamentale d’une Europe encore à venir. Ce grand dessein européen – confirmé par son engagement aux côtés de l’aventure polonaise de Solidarnosc – resta celui de Jacques Le Goff jusqu’à sa mort en 2014 à l’âge de 90 ans.