Abrégé de Bilkis

Les Méditations sur les arcanes majeurs du Tarot de Valentin Tomberg présentent ainsi le Bateleur, première des vingt-deux lames : « Un jeune homme, coiffé du grand chapeau en forme de lemniscat se tient debout derrière une petite table, sur laquelle sont disposés divers objets ».
Le lemniscat – ou la lemniscate, suivant les versions – est une courbe géométrique en forme de 8 horizontal. Les Méditations précisent : « Le grand chapeau en forme de lemniscat dont le Bateleur est coiffé, de même que son attitude d’aisance parfaite, indiquent l’art et l’habileté de la concentration sans effort. Car le lemniscat : ꝏ, est non seulement le symbole de l’infini, mais encore celui du rythme, de la respiration et de la circulation ».On retrouve le lemniscat dans l’Arcane XI du Tarot (la Force) et dans l’Arcane final, XXII (le Monde).

Constitué de onze chapitres, Bilkis illustre et commente l’Arcane XI. Cet Arcane de la Force représente une femme victorieuse d’un lion dont elle entrouvre la gueule avec ses mains, merveilleusement et sans effort. Elle est coiffée du lemniscat. Ce que les Méditations commentent ainsi : « La Vierge dompte le lion, non par une force pareille à celle du lion mais bien par une force d’un ordre et d’un niveau supérieur ». Le récit de Bilkis alterne ainsi le futur et le passé, en suivant la forme du huit horizontal. Il commence en 1885 avec le retour d’Arnoult à Branes au terme de sa captivité. Il s’achève en 1880, juste avant le départ en guerre d’Arnoult, à l’issue d’un bal autour duquel son destin s’est noué. Entretemps on aura visité toute son existence de sa jeunesse à sa mort en 1935.

1885. Arnoult, la trentaine, officier, revient de guerre. Il a été prisonnier plus de quatre ans. Sa famille ignore son retour. Lorsqu’il arrive chez ses parents, il reçoit un mauvais accueil de sa mère. Elle lui reproche d’avoir survécu à son jeune frère, tué quelques mois plutôt lors d’une bataille. Arnoult – à l’époque détenu au camp – ne pouvait bien sûr rien savoir du destin de son frère.
Le récit explore ensuite simultanément le futur et le passé d’Arnoult.
Le futur : Arnoult deviendra préfet de la métropole dont il supervise l’urbanisation, jusqu’à sa mise en retraite forcée, dans les années 1910. Son partenaire est un peintre architecte, Baldassare Mariasert, aux talents démiurgiques, venu d’on ne sait où, qui – pour finir – disparaît on ne sait où. Il attire dans l’entourage du préfet plusieurs autres personnages qui, comme lui, semblent étrangers au temps, notamment deux femmes. L’une est une aventurière cynique : Meg Jappy. L’autre, une chanteuse bouleversante : Loren Marghred. Toutes deux sont fascinées par un portrait de femme que possède Arnoult, et qui remonte aux années 1780. Ce portrait serait, pour elles, la clé de l’interminable jeunesse à laquelle elles semblent vouées.
Le passé : En 1880, avant la guerre, Arnoult a rompu avec Benta, une jeune pianiste. La mère d’Arnoult, en effet, s’opposait à ce mariage précoce qu’elle estimait préjudiciable à la carrière de son fils. Celui-ci, respectueux de l’ordre, obéit à sa mère puis à ses chefs militaires. Avant de partir pour le front, il s’est fiancé à Constance, une autre amie. Il l’épousera à son retour du camp. Durant la guerre – les batailles puis la captivité – il a fait connaissance de l’étrange architecte Baldassare Mariasert. De surcroît, son destin a croisé une première fois celui de ces femmes mystérieusement jeunes (l’aventurière Jappy, la chanteuse Marghred) dont les trajectoires recoupent désormais sa propre existence, jusqu’à sa mort.

Canon à l’écrevisse de l’Offrande musicale de Bach, « Quaerando invenietis » (Vous trouverez en cherchant)

Les chapitres impairs du roman (1, 3,5, etc, jusqu’au chapitre 11) reculent ainsi dans le temps, de 1885 jusqu’à 1880. Ils commencent au retour de guerre (1885) et régressent jusqu’à la rupture d’Arnoult et de la jeune pianiste Benta (1880). Ils racontent la jeunesse d’Arnoult et ses relations avec sa mère.
Les chapitres pairs (2, 4,6, etc. jusqu’au chapitre 10) avancent dans le temps : ils commencent au retour de guerre (1885) et montent jusqu’à la mort d’Arnoult (1935). Arnoult s’y confronte à la reconstruction de la ville, à l’édification du théâtre Mariasert mais aussi aux deux femmes interminablement jeunes (Meg Jappy, Loren Marghred) et à Benta, la pianiste qui l’aima jadis. Vient, pour finir, l’heure de la mort.

La progression en lemniscat correspond au « canon à l’écrevisse », une forme musicale proche du palindrome, dans laquelle la musique de la première voix développe une phrase que la deuxième voix développe en même temps en sens inverse. Bach a donné le plus bel exemple dans L’offrande musicale avec le Canon « Quaerando invenietis » (« Vous trouverez en cherchant »).