TCHAÏKOVSKI ET LE MANNEQUIN D’OR
Au seuil de l’été 1893, quelques mois avant sa mort, alors qu’il travaille à sa 6e symphonie – la « Pathétique » – le compositeur Piotr llitch Tchaïkovski séjourne secrètement à Venise. Accablé par ses impossibles passions, rongé par la jalousie, il répond à l’invitation du docteur Barparoz, étrange et invisible mécène. Le voici logé dans le palazzo de l’inquiétant bienfaiteur. Aucune condition à ce séjour : le compositeur peut y travailler librement à un projet d’opéra-ballet, Le mannequin d’or, où se transposent ses obsessions, ses angoisses et ses désirs. Il ignore que Barparoz est un collectionneur d’inédits, d’indiscrétions, d’ébauches, de cachotteries… tous puisés dans les corbeilles où les invités, sans y réfléchir, jettent notes, projets, brouillons. Barparoz se paye sur les futures variantes des futures « Œuvres complètes » et sur les misérables secrets de ses protégés. A moins qu’il soit l’agent de toutes les polices que le musicien imagine lancées sur ses trousses, à l’affût de ses amours interdites. Autour de Tchaïkovski, se multiplient les intrigues des autres locataires du palais : complots, mensonges, manipulations. Il poursuit néanmoins son projet. Tout culmine dans une étrange fête costumée pour la Saint-Jean…

 

Une longue histoire

En 2005, alors que je disais mon admiration pour l’œuvre de Tchaïkovski, un éditeur me proposa d’écrire sur ce compositeur une biographie pour une collection de courts livres sur la musique. Je refusai car il existe déjà, sur le Russe, de bons livres en français. Je n’aurais pu, au mieux, que les compiler sans rien apporter d’original.
Comme j’en parlais, quelques années plus tard, à Pierre -Guillaume de Roux (1963-2021), éditeur de plusieurs de mes romans, la conversation vint sur une nouvelle écrite près de trente ans auparavant pour une anthologie de textes sur Venise : Le mannequin d’or (Orban, 1985). J’y avais imaginé un séjour vénitien de Tchaïkovski, le dernier été de sa vie. Pierre-Guillaume de Roux m’encouragea à reprendre ce texte et le développer. Le mannequin d’or devint ainsi Le collectionneur des lagunes qui parut en 2014. Du temps passa. Je jugeai n’avoir pas été au bout de mon sujet. J’ai donc repris, modifié et légèrement augmenté le texte qui devint en 2024 Tchaïkovski et le mannequin d’or.

Il faut préciser que si Tchaïkovski a bien traversé l’Europe l’été 1893, il n’a pas fait le détour par Venise, ville qu’il connaissait et qu’il aimait. Le palazzo Merhi, où le convie de Dr Barparoz, n’existe pas. Tchaïkovski n’a pas davantage envisagé de travailler à l’opéra-ballet, Le mannequin d’or sur le conte vénitien qu’utilise le roman. Lorsque j’eus, dans les années 1980, l’idée du Mannequin d’or, je n’avais d’ailleurs jamais été à Venise, mais cela m’amusait de participer à un hommage littéraire pour une ville que je ne connaissais que par les livres, la musique, la peinture, le cinéma… Je n’ai découvert Venise qu’en décembre 2001.

[Illustrations d’Emmanuel Pierre tirées de la couverture du livre]