LE GOÛT DU SECRET

Avec Gilles Perrault

 

Gilles Perrault (1931-2023, pseudonyme de Jacques Peyrolles) a commencé, dans sa jeunesse, par des romans policiers – douze, parus entre 1956 et 1960, sous le nom de Gil Perrault, à l’exception de Baroud d’honneur (1958) signé Sidney Vania. Il se fait d’abord connaître par un essai, mêlant au journalisme d’investigation son expérience personnelle de la guerre d’Algérie : Les parachutistes (1961). Il s’impose ensuite avec L’Orchestre rouge (1967), enquête sur un réseau d’espionnage antinazi berlinois, suisse et franco-belge lié à l’Urss. Perrault s’y attache à la figure marquante et contestée de Léopold Trepper (1904-1982) qui s’en disait le « Grand Chef ».

Les ambiguïtés de Trepper, manipulateur peut-être manipulé, communiste convaincu « purgé » par Staline, font de lui un héros de roman – le type de personnalité à triple fond qui convient à Perrault. Univers que l’on retrouve dans un roman d’espionnage qui a tout d’un roman-vrai, bien qu’il s’agisse d’une fiction : Le dossier 51 (1969), dont la forme est remarquablement élaborée. Le récit se présente comme un ensemble de notes, rapports ou comptes-rendus jalonnant la destruction mentale d’un diplomate français par une « organisation » non identifiée dont les protagonistes semblent mus par les obscures puissances de la mythologie grecque.

Le Dossier 51, adapté en 1978 par Michel Deville

 

 

Les livres suivants renouent avec l’enquête et suscitent la polémique, comme en avait déclenché le personnage de Leopold Trepper. Le pull-over rouge (1978) rouvre le dossier de Christian Ranucci, condamné à mort pour l’enlèvement et meurtre d’une fillette, guillotiné en 1976.Même retentissement médiatique et politique pour Notre ami le roi (1990) qui met en cause Hassan II, son régime et ses liens avec la France.

 

Gilles Perrault en 1990, sortie de Notre ami le roi

Entre 1992 et 1996, Perrault change d’époque mais pas de préoccupations. Il publie les trois volumes du Secret du Roi consacrés à la personnalité, évidemment complexe, de Charles-François de Broglie (1719-1781). Organisateur d’un service de renseignement pour le compte de Louis XV et de Louis XVI, Broglie s’implique dans le jeu international de l’époque qu’il s’agisse de la politique européenne ou du soutien à l’indépendance américaine.


La qualité d’écriture de la trilogie, le sens vivant de la documentation et l’engagement de l’auteur dans le récit m’ont convaincu d’accepter la proposition faite par France Culture : consacrer un cycle d’entretiens à Gilles Perrault. Si je n’ai pas sympathie pour le trotskisme ou le communisme, j’apprécie le personnage. J’admire aussi sa mécanique des « ténébreuses affaires » et des personnalités doubles ou triples.
Il m’a toujours paru – comme à bien d’autres avant moi – que l’enquête, la manipulation psychologique et la machinerie de l’intrigue étaient la base de toute narration romanesque – en, cela proche du conte et du mythe. On a souvent considéré l’Œdipe de Sophocle comme l’ancêtre du polar, puisque l‘enquêteur se découvre être le coupable.
Les entretiens furent diffusés en janvier 1997. Nous les avons chacun retravaillés. Le goût du secret sortit en septembre de la même année.