« MADAME DE MARÇAY »

ROMAN D’ANATOLE PRÉVOST-PARADOL
Suivi de H.H., LE MYSTÈRE D’UNE DAME EN BLANC

A 17 ans, j’ai lu pour la première fois Dominique, le seul roman d’Eugène Fromentin (paru en 1863). Je l’ai retrouvé lors de mes études universitaires avant de lui consacrer, en 1974, mon mémoire de maîtrise. Depuis, je suis souvent revenu sur Dominique et l’ensemble des œuvres de Fromentin, y compris sa peinture. Plus encore après m’être familiarisé avec La recherche du temps perdu. L’emploi du temps selon Proust entretient, en effet, un rapport complexe avec celui de Fromentin.

Aussi ai-je été surpris, au hasard d’une recherche sur le grand journaliste Anatole Prévost-Paradol (1829-1870), par un court roman de celui-ci, Mme de Marçay (1860). Ce texte semble avoir été le prototype de celui de Fromentin, paru trois ans plus tard, notamment la perpétuelle séparation infligée aux impossibles amants : le comte de Ferni et Mme de Marçay chez Prévost-Paradol, Dominique de Bray et Madeleine de Nièvres chez Fromentin. Fait d’autant plus curieux que l’on s’accorde à voir dans l’intrigue amoureuse de Dominique la transposition de la passion contrariée, puis tragique, du jeune Fromentin avec sa voisine Léocadie Béraud, vingt-cinq ans plus tôt. Donc, une expérience bien plus ancienne que celle exprimée par Prévost-Paradol.

Anton Mauve : Chevauchée matinale (1876). La cavalière, hésitant entre deux hommes, et la mer se trouvent au cœur des deux romans.

Le parallélisme s’explique d’abord par la passion platonique, grand thème du romantisme – et pas seulement littéraire. Dans la « vraie vie », Prévost-Paradol aime d’une passion impossible Hortense Howland, jeune femme mariée. Fromentin s’enflamme bientôt, à son tour, de cette même Mme Howland, et de manière non moins platonique. Le journaliste et le peintre se connaissaient. Ils fréquentaient le même milieu.
Tout en s’égarant dans le même labyrinthe que son ami Prévost-Paradol, Fromentin  reproduit avec Hortense Howland l’épisode malheureux de son amour de jeunesse pour Léocadie Béraud, jeune femme mariée, elle aussi. Fromentin projette sur Hortense les souvenirs qu’il avait de Léocadie. Réciproquement, la personnalité d’ Hortense « reconstruit » la Léocadie d’autrefois. Les quelque cent soixante-quinze lettres d’Eugène à sa belle Hortense en témoignent.
Cette infernale répétition de l’impossible – femme présente « parasitée » par une femme fantôme – avait servi d’arrière-plan à mon roman Bilkis (2005). Lorsque l’éditrice Lidia Breda me demanda en 2009 de présenter une édition du roman Mme de Marçay dans la collection Rivages-poche, j’ai donc orienté ma recherche sur Hortense Howland. C’est elle, la mystérieuse « femme en blanc » dont la silhouette hantait Prévost-Paradol et dont Fromentin peignit le portrait une dizaine d’années après la publication de Dominique (portrait reproduit en couverture du livre, ci-dessus). Le texte de Prévost-Paradol se présente donc ici comme un prélude à l’enquête sur la Femme en blanc.
Hortense Howland comptait aussi Edgar Degas parmi ses proches. Elle tenait avec son amie Geneviève Straus, veuve de Georges Bizet, un salon qui passe pour avoir inspiré à Proust celui des Guermantes. Il semble qu‘elle soit, jusqu’à sa mort en 1920, restée pour tous une mystérieuse amie – un personnage blanc.