LES HIVERS ET LES PRINTEMPS
Hiver 1696. Lorsqu’il envoie le chevalier de Charnat enquêter sur les disputes dont s’agite l’abbaye de la Trappe, le marquis d’Argenson lui rappelle ce principe de Richelieu : « Ce qui cause du trouble dans la religion en cause aussi dans l’État ». Cette mission au monastère le plus rigoureux et le plus prestigieux du royaume est d’autant plus importante pour Charnat qu’il compte servir ainsi ses ambitions auprès des ministres et – qui sait ? – de Louis XIV.
La Trappe suscite des vocations toujours plus nombreuses chez ceux qui sont dégoûtés du Grand Siècle, du système de la cour et du carriérisme. Elle recueille aussi de nombreux officiers brisés par la vie militaire et par la brutalité des campagnes que ne cessent de mener les armées royales. Au fil de son enquête, le chevalier de Charnat va d’ailleurs retrouver parmi les moines l’un de ses amis, connu lors de la guerre de la ligue d’Augsbourg.
Parallèlement aux trois inspections qu’il mène à la Trappe, Charnat tente, à Paris, de se gagner le cœur de la duchesse de Cyrthe, brillante jeune femme mal mariée à un barbon passablement libidineux et dépensier. Celle-ci tient salon dans son hôtel du Marais où Charnat se voit partout des rivaux, rejouant le rôle d’Alceste auprès de Célimène.
L’allée de Rancé l’hiver, monastère de la Trappe
Principaux thèmes
Lambert Wilson et Pauline Cheviller dans le Misanthrope, version de Peter Stein (2019)
En dépit des apparences, il ne s’agit pas ici d’un roman historique. L’exactitude n’y est que superficielle. Le sujet principal en est la place de la religion dans la vie sociale et dans le gouvernement, en des termes empruntés Grand Siècle – notamment le désir qu’a l’Etat de contrôler la diversité religieuse. Mais la « théologie politique » des personnages, même formulée avec le vocabulaire classique, reflète nos conceptions présentes. Les interrogations de Charnat et de ses interlocuteurs religieux reflètent davantage Vatican II que le concile de Trente.
L’autre thème important est la déstabilisation des hommes face à l’autonomie croissante des femmes. Cet anachronisme est facilité par le statut des Précieuses et celui des religieuses au XVIIe siècle – deux formes d’affirmation féminine dans un monde fortement hiérarchique et masculin.
On retrouvera chez certains personnages les propos tenus par Mlle de Scudéry sur la vie amoureuse (notamment la Carte de Tendre de Clélie et les discussions sur le mariage dans Le grand Cyrus). On surprendra aussi, notamment chez Mme de Cyrthe, des aspirations au Pur Amour, à l’abandon mystique et au silence qui déclenchèrent les persécutions contre Mme Guyon et Fénelon. Il faut enfin rendre à Molière ce qui lui revient : Les précieuses ridicules et, plus encore, Le Misanthrope ont également servi de modèle.
Néanmoins, les relations du cœur et de l’esprit ne pouvaient, en ce temps, se penser comme nous les pensons aujourd’hui et comme elles se nouent ou dénouent dans le roman – même si l’amour, lui, ne change pas. Ce roman est bien du XXIe siècle malgré son décor louis-quatorzien.
Sources
A la fin des Hivers, une note donne la bibliographie des ouvrages utilisés pour la documentation. Il faut toutefois signaler l’importance déterminante de deux œuvres qui ont permis de trouver le « point de vue » adopté par la narration et la structure du texte : Le vent. Tentative de restitution d’un retable baroque roman de Claude Simon (Minuit, 1957) et Les soldats [Die Soldaten], opéra de Bernd Alois Zimmermann (1965), d’après la pièce de Jakob Lenz (1776).
On trouvera ici, dans l’Abrégé des Hivers, un résumé linéaire de l’action et le plan suivi par la narration. Un entretien, également disponible ici, Vingt-six ans avec Rancé, permet de suivre la genèse des Hivers et deux autres ouvrages concernant l’abbé de Rancé : Rancé. Le soleil noir et les Relations de la mort de quelques religieux de l’abbaye de la Trappe.